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« Heureux les pauvres ! » De l’humour à la révolte


Crédits : /AP/SIPA

J’ai régulièrement posé la question de savoir si on pouvait rire de tout. Et chaque fois la réponse était positive… avec quelques bémols et des « fadièses ». L’humour doit conduire à corriger les défauts d’une société. Quelle prétention ! me direz-vous.

 

Je m’apprêtais à vous parler de Mayotte et des ravages causés par le cyclone Chido. J’avais donc préparé une batterie d’horreurs adéquates. Du style :

-       Envoyez des vêtements pour enfants afin que les Mahoraises puissent en-Mayotter leurs bébés… Je prévoyais même une tirade pour supplier les Mahorais d’être capables d’assister leurs compagnes dans cet ouvrage.

-       Un slogan des banques mahoraises : « on ne prête Comores »…

-       Une scène dans laquelle un Mahorais, visiblement éprouvé devant son banga [1] réduit à rien, se lamentait : « Je ne peux pas vivre sans toit ! ». Et sa Mahoraise de se pâmer car elle croyait à une déclaration d’amour ! Elle n’avait pas perçu la consonne finale et muette de « toit ».

-       Un discours d’Emmanuel Macron : « Nous reconstruirons Mayotte en cinq mois et elle sera encore plus belle et elle plaira autant aux Sikhs qu’aux Maures ! ». Avec la variante « aux Sikhs Comores ».

 

MAIS, à regarder les reportages, j’ai fondu, rangé tout ça au placard et me suis lancée dans une réflexion profonde : Dieu aime-t-il vraiment les pauvres ?

 

Mayotte, une misère extrême ! Et pourtant, pour beaucoup de Comoriens ou d’Africains du continent, c’est un Eldorado. Ils s’y pressent sur les fragiles embarcations appelées kwassa kwassa dont un nombre incalculable coule au fond de l’océan Indien sans qu’on le sache. Et pourtant les arrivées continuent. Des jeunes femmes enceintes ne rêvent que d’aller y accoucher pour que leur enfant obtienne la nationalité française. Et pour cela, elles acceptent et leurs compagnons aussi, de vivre dans des conditions misérables dans de sordides bidonvilles.

 

Je suis scandalisée d’avoir lu un communiqué des indépendantistes corses qui dénonce « la politique coloniale française à Mayotte qui a généré précarité et misère ». Les misérables en question, ceux que le cyclone a le plus éprouvés, ce sont ceux qui ont quitté les îles indépendantes des Comores parce que, pour eux, « la misère est moins dure » à Mayotte.

 

Ce sont donc les misérables parmi les misérables qui ont été frappés (même si toutes les catégories sociales peuvent être touchées par une catastrophe naturelle). Pourquoi, à chaque fois, très généralement, les épreuves s’abattent-elles sur les plus pauvres ? Où est le Dieu d’amour que les catéchètes nous ont enseigné ? Dieu n’aimerait-il pas les pauvres ?

 

Mon père m’a raconté un fait terrible. En 1988, le cinéaste américain Martin Scorsese avait réalisé le film « La dernière tentation du Christ » que beaucoup de chrétiens avaient jugé scandaleux. Partout des manifestations – parfois violentes – tentèrent de s’opposer à sa projection. Ce fut le cas aussi à Papeete. Devant la cathédrale, il y avait un groupe très excité et une jeune fille s’époumonnait au micro. Elle expliquait qu’un cyclone d’une intensité jamais connue [2] était en train de se former dans le golfe du Mexique et qu’il allait détruire l’Amérique pour la punir d’avoir osé engendrer un tel film. Le cyclone changea sa route et dévasta notamment les régions mexicaines les plus désolées. Aux États-Unis, seul le Texas fut touché mais beaucoup moins que le Mexique. S’il y avait eu une vengeance de Dieu, elle s’était donc exercée sur les pauvres qui n’y étaient pour rien.

 

On pourrait dresser l’inventaire des catastrophes et de leurs victimes. On ne trouverait pas d’exemple de nouvelles Sodome et Gommorhe [3] dont on pourrait affirmer que l’anéantissement qui les frappent serait le résultat de fautes abominables commises par leurs habitants.

 

Je ne connais que trop les paroles tirées des Évangiles comme « heureux les pauvres car ils verront Dieu ». Je sais bien que la version authentique, l’Évangile de Matthieu, précise « les pauvres en esprits », mais le verset qui suit ne laisse aucun doute : « Heureux les affligés car ils seront consolés ». Que des enquêtes d’opinion soient lancées chez les « affligés » d’une quelconque catastrophe. Qui osera prétendre qu’on puisse être consolé de la disparition de ses proches et des enfants en particulier. Combien d’enfants devenus orphelins ont été véritablement consolés ?

 

Je ne comprendrai jamais que les religions se prêtent à des formules dont le but n’apparaît que trop évident : éviter la révolte des humbles. Le comble dans cette affaire, c’est que certains prennent à la lettre des paroles du Christ : « vous aurez toujours des pauvres parmi vous ». Alors à quoi bon s’en soucier vraiment, sauf à mettre en place des organismes qui atténueront (et encore) la misère. Certes, il y a des bénévoles qui accomplissent un travail remarquable auprès des « sans rien », et à Tahiti en particulier.

 

Il suffit pourtant de regarder l’Histoire pour comprendre que les inégalités entre les plus gâtés par la vie et les autres ont toujours été empêchées de s’effacer, voire de s’atténuer. Déjà, Platon avançait l’idée qu’il était impossible aux riches d’être justes avec les démunis. Son maître, Socrate, avait conceptualisé qu’il existait une « cité des riches » et une « cité des pauvres » tellement différentes l’une de l’autre qu’il serait inenvisageable de créer une société unique. Plus près de nous, le philosophe Raymond Aron (1905-1983) expliqua « qu’à partir d’un certain degré d’inégalité, il n’y a plus de communication humaine ».

 

Je suis partie des drames de Mayotte pour secouer le cocotier et m’en prendre à deux discours, celui des religions et celui des dominants.

 

Que les religions cherchent à atténuer les souffrances, pourquoi pas ? sauf si c’est pour faire croire que justice sera rendue aux pauvres… plus tard dans une improbable félicité et les contraindre à se contenter (voire se réjouir) de leur condition.

 

Celui des dominants est intolérable (surtout quand il est tenu par des personnes qui prétendent suivre les enseignements Christ… qu’ils n’ont pas lus). Il est intolérable parce qu’il fracture les sociétés sous couvert que les inégalités permettent aux plus doués (ou aux plus malfrats) de s’élever par le travail (ou la confiscation).  

 

Je suis passée de l’humour à la révolte. Certes, je sais que bien des utopies ont abouti à des sociétés encore plus inégalitaires et dépourvues de liberté. C’est certainement parce que ces utopies s’appuyaient sur des livres savants qui promettaient des solutions… révolutionnaires. Or, il ne faut pas être grand clerc pour proposer des mesures de bon sens… il suffit que l’égoïsme ne commande pas tout.

 

Et je fais une proposition aux religions : changer les textes qu’elles appellent saints, par exemple en remplaçant « heureux les pauvres » par « malheur aux riches ». Ce serait une façon de rendre les Évangiles cohérents car le même Évangile de Matthieu qui comporte aussi ce passage : « il est plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille [4] qu’à un riche d’entrer dans le royaume de Dieu ». Si les religions avaient mis en avant ce dernier verset plutôt que « heureux les pauvres », les riches seraient morts de peur.

 

Et je fais aussi une proposition aux dirigeants de nos pays : ne laissez pas les inégalités rendre finalement impossibles les relations entre les êtres humains. Vous devriez être morts de trouille, rien que d’y penser.   


Même pour évoquer une catastrophe, Maeva a besoin du secours de mon intelligence superficielle qui me fait générer ces notes de bas de page.



[1] Un banga était un habitation traditionnelle bâtie par chaque jeune homme qui souhaitait y attirer une jeune femme. Aujourd’hui le mot qualifie les habitations précaires des bidonvilles.

[2] Il s’agissait du cyclone Gilbert.

[3] Chacun se reportera au texte de la Genèse pour en savoir plus. Je ne suis pas une encyclopédie. Toutefois, Maeva m’a autorisé à rapporter l’anecdote suivante. Dans son quartier, une famille avait la réputation de se livrer à des orgies. La police intervint et interrogea les voisins pour obtenir des preuves des racontars. Une voisine dit aux policiers : « ce qui se passe chez ces gens-là, c’est son homme et go more »…

[4] Maeva me demande de préciser que l’aiguille en question était la discrète porte d’une muraille qui permettait d’entrer dans une cité. Elle me dit aussi qu’on pourrait actualiser la formule ainsi : « il est plus facile de garer un gros 4X4 sur une place de parking de supermarché qu’au propriétaire dudit commerce d’entrer dans une Fiat 500 ».

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