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Quand Papy comparait Aya Nakamura et Édith Piaf





Papy était ravi à la perspective de voir se dérouler des épreuves de surf pour les JO 2024, à deux pas de chez lui. Il ne manquerait le spectacle à aucun prix (hélas ! la vie en décida autrement). Par ailleurs, il était excédé par la querelle - qui remonte à quelques mois - à propos des bruits qui répandaient sur la future cérémonie inaugurale des JO de Paris. Papy, comme vous le savez depuis mon dernier billet, est parti peu de temps avant qu’elle ne se déroule.

 

L’objet de sa colère était les réactions entendues lorsque fut émise la possibilité qu’Aya Nakamura chante devant le monde entier au nom de la France.

-        Tu entends les réflexions nauséabondes, s’insurgea-t-il. C’est quoi ça, quelle n’a pas la couleur française ?

-       Papy, ne fais pas attention à ces faux Français.

-       Si, il faut faire attention ! Il ne faut pas les laisser développer des ignominies. Sinon, à ce compte-là, toi non plus tu ne serais plus française. Si seuls les blancs-blancs comme on dit chez nous devaient être considérés comme français, les vendeurs de crèmes antisolaires feraient fortune !

-       Mais ne crois-tu pas, papy, qu’Aya n’a pas poussé le bouchon un peu loin avec Djadja ?

-       Tu reproches quoi à Djadja ?

-       Quand même, à lire les paroles de sa chanson, on en perdrait son latin ! Tu t’y retrouves, toi, dans

 J'suis pas ta catin Djadja genreEn Catchana baby tu dead çaOh Djadja

 

-       Et alors, tu as entendu des politiciens d’ici ou des pasteurs mélanger un mauvais français et un mauvais reo mā’ohi avec quelques mots d’anglais ?

-       C’est vrai ce que tu avances, mais

J'suis pas ta daronne,

 j'te ferais pas la morale

Tu parles sur moi, y'a R

Crache encore, y'a R

Tu voulais m'avoir, tu savais pas comment faire

Tu jouais un rôle, tu finiras aux enfers

“T'façon Nakamura, je l'ai couchée”

Le jour où on se croise, faut pas tchouffer

 

Franchement, ce n’est pas le français comme j’le kiffe !

-       Tu as visé juste. C’est quoi le français si ce n’est une langue vivante, donc qui vit et que tu peux kiffer ! Tu ne parles pas le français de Clément Marot ! Il y a trente ans, j’ignorais l’existence du verbe kiffer…

-       Sans remonter à Marot, il y a des chanteuses et des chanteurs qui ont fait honneur à la langue française !

-       Oui, bien sûr ! Tu sais que j’aimais beaucoup Jean Ferrat ou Serge Reggiani, mais à se limiter à eux, je serais un vieux c…

-       Non papy tu n’es pas un vieux… comme tu dis.

-       Justement, c’est parce que je me réjouis de ce que des jeunes artistes innovent, même si ça choque.

-       D’accord, mais tu apprécierais toi, qu’Aya Nakamura chante l’hymne à l’amour d’Édith Piaf ? Ce ne serait pas mélanger les genres ?

-       Toi aussi tu as raison, il ne faut pas mélanger les genres et franchement, si Aya est un peu olé olé, la Piaf c’était cliché après cliché !

-       Tu exagères papy.

-       Comment j’exagère ? Tu veux que je te décortique l’hymne à l’amour ?

-       Tu m’étonneras toujours.

-       Tu vas voir ou plutôt écouter.

 

Papy partit alors dans une diatribe enflammée en faisant une exégèse de la célèbre chanson. Pour lui, elle commençait mal : « Le ciel bleu, sur nous peut s’effondrer… ». Le ciel bleu, une banalité ! Au moins Paul Éluard poétait que la terre était bleue comme une orange. Ça c’était original ! Dire que le ciel est bleu, c’est seulement répéter Verlaine, mais sans le talent. Et le ciel qui s’effondre ! Les Gaulois craignaient déjà que le ciel ne leur tombe sur la tête !

 

Un premier uppercut, mais pas le dernier. Et le vers « Tant que mon corps frémira sous tes mains… ». L’éloge du tripotage, prétendit papy. S’il suffisait de tripoter une femme pour qu’elle aime le type qui s’y risque, ça se saurait poursuivit-il ! Je ne savais plus que dire.

-       Et j’irais jusqu’au bout du monde si tu me le demandais ! Tu imagines plus grande banalité ! Quand j’ai rencontré mamie à Papeari, je lui ai demandé si elle me suivrait au bout du monde. Elle m’a répondu sèchement mais on est déjà au bout du monde ! Et l’autre vers Je me ferais teindre en blonde si tu me le demandais. C’était l’époque où les femmes étaient soumises. Sandrine Rousseau ne pissait pas encore dans ses couches. Une femme qui se teindrait en blonde pour plaire à un zigoto, c’est qu’elle serait déjà blonde intérieurement !

 

J’aurais aimé que papy s’arrêtât. Mais non, il était remonté comme des bretelles !

-       Elle renierait sa patrie et ses amis si son amoureux le lui demandait. Heureusement que pendant la guerre il n’y avait pas que des Piaf ! Ce qu’elle chantait, la Piaf, ce n’était pas l’amour, mais l’égoïsme sublimé !

Et ça finit par des si je meurs, si tu meurs, comme si cela n’arriverait pas de toute façon. Et je t’annonce que l’éternité dans un ciel encore bleu sera sans problèmes. Consolation pour les insatisfaits de la vie terrestre ! Le summum est atteint dans Dieu réunit ceux qui s’aiment… Que fera-t-il, Dieu, de ceux qui ne s’aiment pas ? Il faudra que le paradis soit bien cloisonné pour qu’on n’y rencontre pas son voisin, son ex-copine ou sa belle-mère !

 

Papy sembla épuisé. Je lui dis :

-       Tu aurais fait un redoutable prof de français.

-       Si les profs de français décortiquaient les textes comme moi, le niveau des élèves serait relevé.

 

Modeste ! papy avait toujours été modeste. C’est pour ça que je garderai de lui un souvenir plein de soleil, lequel soleil est vert comme le fer chauffé à blanc.

 

Je vous ferai une confidence. Papy me manque tellement que j’ai bêtement tenté de lui parler dans l’au-delà.

-       Tu sais papy, tu aurais aimé la cérémonie inaugurale des JO, tant elle était inclusive !

 

Là, j’ai senti que papy ne me suivait pas vraiment. À cause du mot « inclusive » peut-être ?

-       Oui papy, c’est encore un mot nouveau que tu ne connais sans doute pas. Une cérémonie inclusive c’est une cérémonie qui accorde une place à tout une chacune, qui intègre ceux qu’à ton époque on qualifiait de « déviants ». Tu te souviens de ta colère quand je te racontais qu’un prof du lycée avait qualifié de « déviants » les drogués, les homosexuels, les rappeurs et les surfeurs !

 

Papy ne semblait pas réagir. Je poursuivis :

-       Et tu sais, papy, à la fin de la cérémonie quand Céline Dion entonna l’hymne à l’amour, ça avait de la gueule !

 

Je vous jure que j’ai entendu papy lancer un retentissant « Aich ![1] ».


[1] L’intelligence superficielle voudrait porter à la connaissance des lectrices et lecteurs peu familiers des interjections polynésiennes que « Aich ! » exprime un désaccord, parfois même un dégoût, un refus de continuer à discuter. Papy était fiu de Piaf et de Céline Dion et souhaitait sans doute que sa chère Maeva le laissât en paix là où il est désormais…

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